Auteur : Laura WALTER
Pages : 199
Éditeur : BUR RAGAZZI
Lectorat : 10/12 ans
Lectrice : Elisabeth LESQUOY
Avis : Positif
Le charme vénitien opère, car l’auteure connaît fort bien la ville. On y partage la vie quotidienne de « vrais » vénitiens, enfants et adultes, mais aussi les côtés magiques, pris au sens propre, de la ville, cadre idéal de l’Aventure. Ses personnages sont attachants et drôles, humains comme animaux. Une bonne sensibilisation au thème essentiel du danger des hautes eaux pour la survie de Venise, et un suspens bien mené, ponctué par le calendrier des grandes fêtes vénitiennes.
Résumé
Mistica Maëva (« avec un tréma ») est une vénitienne DOC, avec son papa capitaine du « vaporetto n°2 » et sa maman commerçante. Du haut de ses dix ans, elle assume avec philosophie son prénom pas banal et sa chevelure flamboyante, comme son caractère. Elle a une grand-mère cartomancienne, dite SuperMistica, dont elle est « la photocopie en format réduit », et un copain inséparable lui aussi vénitien, Giaki (ses parents sont les meilleurs glaciers de la ville).
Les deux enfants sont particulièrement sensibles au danger que les « hautes eaux » de plus en plus fréquentes font courir à la ville. Il y a aussi un chat – roux comme Mistica, et adopté par elle et sa grand-mère – dont le meilleur ami est un pigeon partageant son temps entre les photos avec les touristes et les expéditions commando contre les mêmes touristes bien trop nombreux à son goût – et pas qu’au sien.
Et puis le professeur Brusegan, vieil ami de la grand-mère, érudit qui connaît toutes les légendes vénitiennes. C’est lui qui est en possession du manuscrit suggérant, de façon codée, le secret qui permettra de sauver définitivement Venise des hautes eaux. Le groupe met donc au point, sous la direction du professeur, le plan qui doit attirer Arlequin : l’anneau magique authentique des « épousailles de Venise et de la mer » se cache sous son chapeau et il faut le récupérer. Chaque soir, un repas vénitien typique sera déposé sur un rebord de fenêtre au rez-de-chaussée de la maison de la grand-mère : Arlequin dont on sait qu’il souffre de faim chronique ne pourra pas résister longtemps et il sera facile de le prendre « au filet ».
Comme la grand-mère est une cuisinière d’exception, le plan peut être réalisé facilement (mais pas gratuitement). Or il ne se passe rien pendant des semaines, jusqu’à ce que les enfants démasquent le professeur: c’est lui qui récupère et mange chaque soir les plats. Explosion de colère, puis pardon devant les explications piteuses du professeur. On entre dans la deuxième phase du plan, après une soigneuse explication du texte de l’énigme du manuscrit. Chacun des membres de l’équipe, y compris le chat et le pigeon – à l’insu des humains, bien sûr - se met à explorer la ville dans tous ses recoins pour démasquer les « Maîtres du Temps » qui ont leur base dans « la Cour du Temps », et le « Passage Suspendu » qui y mène.
C’est une chasse aux indices qui nous entraîne dans les endroits les plus caractéristiques, mais pas toujours les plus connus, de la ville. C’est aussi une mission périlleuse, car il y a des forces ennemies, les enfants le savent. Ce sera le chat, et son ami le pigeon, qui découvriront les deux « Maîtres du Temps », déguisés en vendeurs ambulants noirs, et l’endroit où ils disparaissent. Il leur faudra trouver la façon d’avertir leurs amis humains, ce qu’ils feront très habilement. Le temps presse pour résoudre l’énigme, il faut avoir retrouvé le véritable anneau magique pour le jour de la fête de la Mer (à l’Ascension). Amenés par le « ballet » du chat et du pigeon jusqu’à la cour de la Scala Contarini dal Bovolo, ce spectaculaire escalier en colimaçon que les touristes ne trouvent pas facilement, Mistica e Giaki vont passer au grand dam de la grand-mère et du professeur, dans l’autre dimension, grâce à un tourbillon de poussière lumineuse qui joue dans l’escalier.
Les deux enfants vont se retrouver dans un immense Carnaval vénitien « parallèle » qu’ils vont explorer prudemment, toujours à la recherche d’Arlequin au milieu de toute sorte de personnages, traditionnels ou pas. Cette quête ne sera pas de tout repos, il y aura une tempête de rires et une épreuve d’équilibrisme très périlleux pour Maëva. Ils voleront l’anneau magique à Arlequin, mais manqueront d’être arrêtés par la foule. C’est un épisode très mouvementé, plein de rebondissements, y compris un retour au "réel" dans un char tiré par les quatre chevaux de St Marc en compagnie du professeur entré lui aussi dans le monde parallèle, à leur recherche.
Mais l’aventure n’est pas finie, les forces obscures des MarchandsBrigands essayent encore de soustraire l’anneau en se cachant dans la grand-mère, il y aura lutte, et encore une fois l’alliance des animaux – le chat, le pigeon et la petite chienne du professeur – viendra à bout de ces forces maléfiques d’une façon très ingénieuse. Venise est donc sauvée, même si ses habitants ne s’en rendent pas clairement compte, et la fin du récit nous restitue, un an plus tard, la plus grande des fêtes vénitiennes, celle du Rédempteur, avec ses pique niques familiaux sur les barques et le grand feu d’artifice final. Les deux familles ré-évoquent les mésaventures passées, et les projets d’avenir de Mistica et Giaki. Les trois animaux sont naturellement de la fête. Et l’auteure offre, pour finir, à ses lecteurs, « troisrecettestrois », des plats qui ont été célébrés dans l’histoire, en les faisant commenter par la grand-mère et le professeur.
Commentaire
J’abordais la lecture avec quelques préventions, les histoires vénitiennes sont légion, aussi bien du genre Le prince des voleurs de Cornelia Funke que Aldabra la tortue qui aimait Shakespeare de Silvana Gandolfi. Je n’étais pas non plus, a priori, convaincue par le côté « fantastique » du « monde d’à côté ».
Mais la lecture a levé ces préventions. Laura Walter sait planter ses personnages de façon très concrète, dans un décor décrit « de l’intérieur » par quelqu’un qui connaît la ville comme une native (elle est de Padoue, à moins de 40 km de Venise), et les jeunes lecteurs/trices peuvent bien s’identifier à cette vie particulière, entre les rues piétonnes et les canaux, les places et placettes où ils ont une liberté exceptionnelle. Même l’école est « vénitienne », avec la salle de classe qui donne sur le canal et le « vaporetto n°2 » qui klaxonne en passant sous les fenêtres pour saluer Maëva et ses amis.
L’auteure s’adresse d’emblée à ses jeunes lecteurs, dans le prologue de bienvenue, et dans les recettes de conclusion. Elle leur raconte l’histoire dans un style vif, rapide – même quand l’action traîne un peu, au début, la lenteur étant une caractéristique vénitienne. Elle progresse par petit paragraphes bien construits et dialogues animés.
Elle n’hésite pas à jouer du dialecte vénitien, effectivement encore parlé par les "nés natifs", sans cependant mettre en difficulté les lecteurs non locaux. Cet aspect sera intéressant à affronter dans le travail de traduction.
Laura Walter a bien utilisé les légendes, les emblèmes, les monuments, à l’intérieur d’une construction qui sait ménager le suspens, tout cela au service de la cause écologique toujours d’actualité dans la ville. Les vues vénitiennes au crayon de Mauro Evangelista qui illustrent chaque début de chapitre (dans cette édition tout au moins), créent une atmosphère très fidèle, en écho aux œuvres des peintres du XVIII siècle entre autre, sans jamais tomber dans la carte postale.
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